vendredi 8 février 2013

La difficile évaluation de la pauvreté

Suite à l'adoption du Plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale (le 21 janvier 2013), je souhaitais vous faire part d'une information capitale pour toutes les personnes s'intéressant de près ou de loin à la problématique de la pauvreté en France.

Les acteurs engagés dans la lutte contre la précarité et l'exclusion savent certainement de par leurs expériences à quel point il est délicat de définir la notion de pauvreté et de ce fait de quantifier le nombre de personnes à y être confrontées. L'Observatoire National de la Pauvreté et de l'Exclusion Sociale (ONPES) dans sa lettre n°5 d'octobre 2012, tente d'apporter un éclairage à ces questions :
- Combien de personnes en situation de pauvreté en France ?
- Quelles sont les différentes mesures possibles de la pauvreté ?
- Pourquoi observe t-on une variation de l'ampleur du phénomène aussi importante selon les approches utilisées en France ou au niveau de l'Union Européenne ?


Ainsi, on apprend que selon le mode de collecte des informations, la définition de la pauvreté retenue, la taille des échantillons interviewés ou encore la marge d'incertitude statistique choisie pour les analyses, etc. le taux de pauvreté est soumis à de grande variation. À titre d'exemple, ce taux atteignait 12,6% en France en 2009 selon l'approche française. Cependant, il n'était plus que de 5,6% selon l'approche européenne (la pauvreté était définie ici en terme de conditions de vie et de privations sévères).



À titre informatif, si on se fie à cette définition et à l'approche française, le taux de pauvreté était estimé à 13,4% en 2010.
Cette lettre regorge d'exemples concrets de ces variations tout en y explicitant les raisons. Elle nous montre à quel point il est délicat d'appréhender ce phénomène dans sa globalité et difficile de saisir le sens de ces données à leur juste valeur sans explication claire au préalable (quant à leur moyen d'obtention, mode de définition et d'analyse retenue, etc).

Quant au Plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale (disponible également sur le site de l'ONPES), il s'articule autour de trois axes majeurs, à savoir :
  • réduire les inégalités et prévenir les ruptures,
  • venir en aide et accompagner vers l'insertion,
  • coordonner l'action sociale et valoriser ses acteurs.
Comme il se doit, celui-ci intègre un volet santé en vue d'améliorer l'accès aux soins non seulement des populations concernées par une situation de pauvreté mais aussi de la population dans son ensemble, et ceci est un progrès notable qui mérite d'être relevé. Les divers messages adressés au Gouvernement au travers d'études et rapports d'analyse (Groupe de travail "Santé et accès aux soins", 2012 ; Inpes, 2010 ; HCSP, 2009 ; IRDES, 2005 ; etc.) d'engager un travail de réduction globale de ces inégalités socio-territoriales bien au-delà de la sphère de la santé semblent avoir enfin porté leurs fruits. Dans ce domaine, la France aurait tout intérêt à prendre pour modèle ses voisins européens (notamment Royaume-Uni, Suède et Pays-Bas) qui ont inscrit cette problématique au programme de leurs politiques publiques et érigé des plans d'actions structurés incluant des évaluations poussées. Pour ce faire, l'accent est fortement mis sur la lutte contre les déterminants de santé défavorables à l'origine de la pauvreté et/ou l'entretiennent : éducation, culture et loisirs, emploi, condition socio-économique, logement, accès aux services publics et accès aux soins.

Si notre gouvernement paraît avoir également opté pour ce type de stratégie, je regrette toutefois, et ceci n'engage que moi, que certains projets soient encore très focalisés sur un certain type de public.
Pour illustrer mon propos, je me référerai au point "Améliorer l’accueil en structures collectives des enfants de moins de 3 ans issus de familles modestes" aux pages 17-18. En effet, il est crucial de permettre l'accès à des systèmes de garde aux familles, notamment aux mères seules, pour renforcer leur chance d'insertion socioprofessionnelle. Néanmoins, ce type d'orientation (fixation d'un seuil de minimum de 10%, enfants vivant sous le seuil de pauvreté, zones d'éducation prioritaire) pose à mon sens un double problème : elle va à l'encontre du principe de non discrimination d'une population en particulier et comprend le risque de fragiliser d'autres personnes que le public cible pourtant elles aussi dans le besoin. Comme ceci est clairement énoncé dans l'introduction, la pauvreté n'est pas un phénomène immuable et peut toucher n'importe quel citoyen de notre société ("Les populations en difficulté sociale ne sont pas fixes, les frontières de la pauvreté se déplacent à chaque instant, de ruptures en rebonds, chacun vivant en interdépendance avec le reste de la société", page 5). À l'heure actuelle, il n'est pas rare de rencontrer des femmes, mères au foyer malgré elles, car faute d'avoir accès à des moyens de garde ne parviennent pas à trouver un emploi, stable qui plus est. Même si elles se situent au-dessus du seuil de pauvreté, souvent grâce à l'emploi de leur conjoint, ou mêmes si elles possèdent un diplôme, leur insertion est mise à mal en raison de l'insuffisance de places d'accueil en structure collective. Il m'aurait ainsi paru plus cohérent de développer au niveau national une vaste politique de soutien à la création de divers modes d'accueil de la petite enfance afin d'offrir les mêmes chances d'insertion, de mobilité et d'éducation à toutes les familles.

Ce plan a tout de même le mérite de proposer d'agir sur les diverses thématiques pouvant alimenter le phénomène de pauvreté (surendettement, tarifs sociaux énergétiques, aide alimentaire, éducation, loisirs, isolement des personnes âgées, etc.). Pour l'édition des programmes d'actions, dont les premiers verront le jour à la fin du premier semestre 2013, le gouvernement en référera aux travaux de groupes d'experts, souvent en association avec les personnes concernées, les représentants des divers acteurs oeuvrant dans ce champ, les prescripteurs et financeurs.
Il nous faudra donc encore un peu de patience pour découvrir les mesures concrètes et chiffrées prévues pour atteindre ces objectifs.

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